Conseillée par un libraire de La Rochelle, cette lecture m' a d'abord emportée dans les nimbes de ces nuages qui fascinent les différents personnages puis déconcertée dans la 3ème partie avec l'étude du protocole Abercrombie.
La qualité narrative de l'auteur permet au lecteur d'être immédiatement embarqué dans l'histoire que relate Akira Kumo, à Virginie Latour qu'il vient d'engager pour répertorier sa collection de livres.
Au fur à mesure de leurs rencontres, Akira Kumo lui raconte les prémices de cette science des nuages qui émerge au 19ème siècle grâce des personnages clefs tels que Luke Howard, auteur de la typologie des nuages, Cirrhus, Cumulus et autres stratus, Carmichaël, peintre de son état, qui en fera l'élément principal de ses toiles en effaçant toute présence humaine, puis William S Williamson, météorologue avant l'heure et Abercrombie (personnage inventé par l'auteur) pour qui l'étude du ciel prendra une tournure étrange.
Ces nuages, loin de manifester des signes de colère émanant des divinités antiques, deviennent des formes évanescentes pour les poètes et des objets d'étude aux propriétés physiques pour les spécialistes.
Il est aussi question de nuages qui surgissent sous forme d'un cataclysme naturel (Le nuage volcanique de Krakatoa) ou provoqué par l'homme (la bombe atomique).
L'histoire de ce couturier Japonais, né à Hiroshima, se dévoile ainsi en même temps que celle des chasseurs de nuages, une mémoire qui se déroule comme un fil ténu, avec ses traumas et avec Virginie Latour comme dépositaire de ce témoignage.
Si l'écriture me paraît très délicate et sensible, je trouve que les personnages féminins ne sont pas traités de la même manière, le personnage de la Fille d'Abercromie est même qualifiée d'"inculte et alcoolique"et l'auteur évoque "sa précocité dans tous les vices" alors qu'aucun jugement n'est porté sur les hommes et notamment Richard Abercromie et son rapport aux prostituées, sa fascination pour certaines parties du corps de femmes exotiques et un vocabulaire emprunt d’ethnocentrisme qui va certainement avec l'époque (XIX, début 1900).
C'est dommage, car la thématique de départ autour des nuages était vraiment originale et avait tout pour faire un très grand roman. Là, l'auteur m'a un peu perdu en chemin. On ne peut pas dissocier la forme du fonds et même si cette lecture est d'un abord extrêmement plaisant, d'une certaine érudition, et que le personnage de Akira Kumo, semble vraiment incarné avec force tout comme les précurseurs de la météorologie, le personnage d'Abercromie, m' a quelque peu déroutée et moins intéressée.
Cela ne m'empêche pas de souligner que Stéphane Audeguy a de véritable talent de conteur, et que je vous conseille la lecture de cet ouvrage car il y de très beaux passages qui vous portent comme le souffle d'un paysage ou le passage d'un nuage.
"Certains nuages en effet semblent surplomber tous les autres, et
s'étirent comme des griffures de chat ou des crinières, en longues
fibres parallèles ou divergentes, presque diaphanes ; Howard les nomme
des filaments : ce seront , en latin, les cirrus..."
"Le temps est venu pour le volcan de s'effacer du ciel. Alors, comme s'il
se souvenait, au moment de mourir, de son glorieux passé terrestre, le
défunt Krakatoa se disperse à une vitesse croissante dans toutes les
couches de l'atmosphère, provoquant des diffractions inédites de la
lumière du soleil, inventant des aurores flamboyantes, des magnifiques
couchers de soleil, qui semblent un océan de métal liquide, piqué de
vert émeraude et de nuances d'ocre subtiles, des couchers de soleil
comme de mémoire d'homme on n'en a jamais vu."
"Il s'est mis à penser que toutes les formes naturelles obéissent à des
lois récurrentes. Il croit que le créateur du monde l'a voulu ainsi, et
la jeune science des formes célébrera l'oeuvre divine. Johann Wolfgang
Goethe sait que bientôt l'eau de son propre corps voyagera, pour partie
dans le sol, pour partie dans les airs, et cela le console de la mort.
Il aime à penser que sa dépouille va nourrir des plantes, ou de petits
insectes mal connus. Même il pense parfois, mais sans le dire à
personne, que le cerveau des hommes a la forme des nuages, et qu'ainsi
les nuages sont comme le siège de la pensée du ciel ; ou alors, que le
cerveau est ce nuage dans l'homme qui le rattache au ciel. Parfois même
Goethe rêve que la pensée elle-même se développe non pas, comme disent
certains, à la façon d'un édifice de pierres, mais bien plutôt comme ces
arborescences nuageuses qu'il admire tant, dans les cieux toujours
renouvelés, au-dessus de Weimar."